9. C'est reparti pour un tour !

     La vie a peu à peu repris son cours normal. Plus de visites des voisins, plus d'interviews des journalistes qui voulaient tout savoir sur mon enlèvement, et plus d'extra-terrestres non plus. Bref, le calme pur et divin, un calme pendant lequel Jessica m'a annoncé une bonne nouvelle : elle était enceinte... encore... Ah bah oui, madame voulait, madame a demandé et madame a obtenu ! Je suis pas contrariant, comme gars, je lui ai donné ce qu'elle désirait.

     - J'espère sincèrement que ce sera une fille, cette fois, m'a-t-elle confié. Et si c'est une fille, on l'appellera...

     - Stop ! ai-je coupé (je ne tenais pas non plus à ce qu'elle me sorte un nom à coucher dehors comme les trois autres). Si c'est une fille, je m'en charge, d'accord ? J'ai déjà plusieurs idées.

     - Oh, Alan, tu es un amour.

     - Je sais.

     Je suis un amour et en plus, je suis un amour de maire ! Eh oui, parce qu'à partir de maintenant, tous les gens qui me croiseront dans la rue m'appelleront Monsieur le Maire ! J'ai réussi à arriver au but que je m'étais fixé. Certes, c'était pas mon véritable désir (moi, mon truc, c'était les sciences comme Jessica) mais ça fait quand même plaisir d'avoir un joli petit nœud-nœud rouge accroché à la veste. Et en plus, le véhicule de fonction est vraiment très confortable, que demander de plus à la plèbe, à part une petite fille pour compléter le tableau ?

     Eh bien, en fait, il me manquait encore quelque chose : ma galerie d'art. Pendant trente ans, j'ai accumulé un tas de tableaux, d'œuvres que les enfants m'ont peintes (oui, parce que moi j'ai pas le temps de faire de la peinture, surtout avec mes nouvelles fonctions au sein de la communauté). Et c'est pas tout, parce que je vends aussi des objets ! Mais pas des objets que je fabrique, hein... parce que j'ai pas le temps... mais des objets que je trouve dans le sable, rien qu'en creusant.

     C'est d'ailleurs fou ce que les gens entassent dans le désert : des cartes, des os, des statues... Y en a vraiment qui se gênent pas. Sous prétexte que c'est le désert, personne ne remarquera la tonne de détritus qu'il y a sous le sable. Seulement voilà, moi, j'ai remarqué... que ça servait mes intérêts ainsi que ma boutique. Et comme disait papa Dubol : mon fils, y n'a que trois choses qui comptent dans la vie : l'argent, le pouvoir et les femmes. Pour une fois, il avait presque raison, papounet Dubol.

     Et ce soir-là, Balnéor a décidé de fêter l'ouverture du magasin en grandissant, pour la simple et bonne raison qu'il avait "trop envie de nous aider". C'est un brave petit gars, Balnéor, en dépit d'un nom à la noix. Gentil, calme, généreux... et en plus, il est devenu sacrément mignon en devenant ado. Ce p'tit gars, moi j'vous l'dis, il va briser tous les cœurs du collège.

     - M'man ? Ça va ? T'es pas contente que je sois enfin ado ?

     - Si, je suis contente... mais ça va tellement vite, tout ça. J'ai l'impression que tu es né hier.

     - Ça nous rajeunit pas, hein bibiche ? ai-je fais.

     - M'en parle pas, ça me donne mal à le tête rien que d'y penser.

     Et le mal de crâne n'était pas la seule chose qui qu'elle avait, ma pauvre biche, parce que sa quatrième grossesse l'épuisait encore plus que toutes les autres. C'est qu'elle est pas toute jeunette non plus et d'ici trois ou quatre ans, elle viendra me tenir compagnie du côté des croulants.

     Enfin, je dis croulant mais je suis quand même loin d'en être un. Je me sens en pleine forme, autant que quand je suis arrivé dans ce désert y a trente ans, peut-être même plus ! Mais ça, Jessica veut pas le croire. Faut tout le temps qu'elle me ménage, qu'elle me parle de mon cœur... Mais il va bien, mon cœur, il va même très bien ! Il ronronne comme un jeune chat. Seulement, Jessica a toujours été d'un naturel inquiet...

     ... alors pour lui prouver qu'elle se trompait, j'ai décidé de recommencer à fouiller le ciel étoilé à la recherche de mes copains les aliens. Et je peux vous dire qu'ils ont pas mis longtemps à rappliquer, à croire que je leur manquais ! Ça a commencé par une belle lumière bleue, sans un bruit, une lumière que j'avais déjà vue quelque part sans pour autant m'en souvenir tout de suite.

     ... puis je me suis retrouvé aspiré, les pieds en l'air, la tête en bas et les mains encore coincées sur le télescope. D'ailleurs, j'ai pas pu m'empêcher de gueuler :

     - 'Tendez deux secondes, les gars, laissez-moi le temps de lâcher prise !

     J'ai senti ma chaussure droite faire un aller simple pour le vaisseau, puis la gauche, et quand le froc a commencé à suivre le même trajet, j'ai rajouté :

     - C'est bon, j'arrive !

     Et j'ai rejoins mes fringues dans la même pièce circulaire où j'avais atterri la première fois. Vous dire qu'ils étaient contents de me revoir, ça serait mentir. Ils n'étaient pas contents, les aliens, ils étaient HEU-REUX ! Du coup, ils ont insisté pour me donner un surnom : tonton Alan ! Avouez que ça sonne bien, hein ?

     On a passé une nuit super. On s'est baladés de galaxie en galaxie, on est passés par un grand anneau bleu (qu'ils appellent le Tcha Paille) en orbite autour d'une planète pour atterrir sur une autre. On en a d'ailleurs profité pour aller l'explorer. Et là, je vous prie de croire que c'était dément. On est tombé dans une cité technologiquement beaucoup plus avancée que chez nous, une ville énorme, peuplée par des habitants humains et sympa... On a été reçus comme des princes, on a mangé comme des rois et quand on est repartis, une alliance avait été formée entre les habitants de la planète et mes copains les aliens. Incroyable.

     Et comme la dernière fois, le retour a été un peu rude. J'ai de nouveau mangé le trottoir et y avait même pas assez de neige pour amortir ma chute. J'avais pas l'air fin avec le cul en l'air...

     Quand je suis rentré et que j'ai raconté ma nuit à Jessica, elle a commencé à râler (et ça, fallait s'en douter) :

     - Alan ! Tu es inconscient, ou quoi ? Tu n'avais pas besoin d'y retourner !

     - Mais ma biche, ça s'est super bien passé, t'inquiète pas.

     - Mais si, je m'inquiète. Tu n'es plus tout jeune, maintenant. Et les émotions fortes, c'est mauvais pour ton cœur.

     - Mais arrête de me gonfler avec mon cœur, il va très bien ! Et il était sacrément content de visiter une autre planète. Tiens, la prochaine fois, je t'emmène, tu verras comme c'est génial.

     - Quoi ?! a-t-elle crié. Parce qu'il y aura une prochaine fois ?

     - Et comment ! Je compte bien y retourner avant de casser ma pipe ! Ca me fera un cadeau d'adieu avant de quitter cette terre... encore que je suis pas sûr de la quitter parce que mes copains m'ont parlé d'un truc incroyable, ça s'appelle l'Ascension et...

     - Oh, je ne veux pas en entendre plus ! Continue à délirer si ça te change, moi je vais me coucher !

     Forcément, après notre engueulade maison, un long silence de deux semaines a suivi. Remarquez, c'était calme dans la maison. Il n'y avait guère que les enfants qui parlaient, et encore, quand ils voyaient la tête furax de leur mère, ils n'osaient pas trop. Et puis un matin, alors que je partais au travail en hélico (la grande classe), Jessica a enfin daigné m'adresser la parole.

     - Alan ! Reste ici !

     Seulement, avec le bruit des pales, j'avais rien compris alors j'ai crié en retour :

     - Désolé chérie, mais j'ai une réunion dans dix minutes !

     - Alan ! Reste ici, c'est un ordre ! Je suis en train d'accoucher !

     - J'entends rien ! Je te laisse, j'y vais, et si jamais tu sens que tu es sur le point d'accoucher, tu m'appelles au bureau !

     - Alan ! Espèce de sombre idiot !

     - Moi aussi, je t'aime, ma biche !

     Et je suis parti, sans me douter un seul instant de ce qui se passait dans mon dos.

     - Eh bien, tant pis pour papa, il n'aura pas le privilège de te voir ouvrir les yeux, hein mon bébé ? Il est où, le bébé à sa maman ?

     Et le soir, dès que j'ai mis un pied dans la maison, Jessica est venue vers moi, souriante.

     - Chéri, le bébé est né ! m'a-t-elle annoncé.

     - Mais c'est génial, ça ! Et comment elle va, la puce ?

     - Ben... c'est à dire... c'est pas elle... c'est il...

     - Encore ?! T'avais dit que ce serait une fille, cette fois ! Tu le fais exprès, ou quoi ?

     - Ben non... mais t'en fais pas, Brèveurt' est très mignon, tu sais.

     - Hein ? Tu rigoles ? Braveheart, c'est tout ce qu'il y a de plus violent, comme film !

     - Mais non, je te parle de ton fils, il s'appelle Brèveurt'. Ça te plaît pas ?

     Je vous jure qu'à ce moment-là, la première chose que que j'ai eue à l'esprit était de partir me pendre sur une autre planète... Brèveurt', on a pas idée de trouver un nom pareil.